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Crédits : The Cradle

Le Sud global, cet acteur décisif de l’avenir planétaire

Par Claire Fieux

Révélé par la guerre en Ukraine, le « Sud global » ne cesse de faire parler de lui. Composé de pays victimes de la mondialisation refusant de s’aligner totalement sur les positions des grandes puissances, ce nouvel acteur géopolitique invite la communauté internationale à repenser son fonctionnement.

Le 19 septembre dernier s’est tenue la réunion annuelle des Nations Unies. Volodymyr Zelensky a ouvert le bal en plaidant la cause de son pays auprès des nations abstentionnistes aux sanctions à l’encontre de la Russie : le Sud global. L’objectif de l’Assemblée générale était de combler un fossé entre le « Nord » et le « Sud ». C’est plutôt l’inverse qui s’est produit. La méfiance des diplomates des pays en développement vis-à-vis des engagements des pays occidentaux montre une division sans appel des intérêts entre le Nord et le Sud. Dans un subtil ballet diplomatique, l’ordre du jour est passé des enjeux climatiques à l’isolation de la Russie par la force des discours occidentaux. Une quarantaine de pays du Sud Global – dont la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud, l’Algérie – ont refusé de choisir leur camp.

 

Le sud Global déterminé et déterminant

 

"Le nouveau siècle s’ouvre sur deux déplacements historiques majeurs. L’Europe ne constitue plus le centre du monde même si elle en est toujours une actrice relativement décisive. L’Afrique, pour sa part, et le Sud de manière générale, apparaît de plus en plus comme l’un des théâtres privilégiés où risque de se jouer, dans un avenir proche, le devenir de la planète". C’est ainsi que commence l’ouvrage d’Achille Mbembe et Felwine Sarr, Écrire l’Afrique Monde.

 

Le constat de la désoccidentalisation du monde est sans équivoque. Sur les 8 milliards d’habitants qui peuplent désormais notre planète, seuls 15% d’entre eux vivent en Occident. Le Sud global constitue une force économique de plus en plus puissante, à l’exception de quelques secteurs-clés, comme la finance ou les technologies de pointe. « Mais il est loin d’être sur une ligne d’affrontement contre l’Occident, comme le montre les votes à l’ONU de cette dernière année sur la guerre en Ukraine », écrit Jean-Joseph Boillot, spécialiste des grandes économies émergentes dans la revue Alternatives Économiques. Pour rappel, « Le Sud global était là avant la guerre en Ukraine et s’il existe, c’est indépendamment de ce conflit », écrit Vincent Capdepuy, docteur en géographie à l’académie de La Réunion.

 

Un nouvel acteur géopolitique mis en lumière par le conflit en Ukraine

 

Depuis le début de l’invasion russe, les signes de défiance à l’égard d’un camp comme de l’autre s’accumulent, témoignant de l’affirmation du Sud global comme acteur non-aligné. Une abstention qui lui donne un véritable poids décisionnel dans le grand échiquier international. Pierre Haski, dans une chronique pour L’Obs, insiste sur le caractère révolté du Sud global, qui a refusé de s’aligner à l’Occident pour condamner la Russie concernant la guerre en Ukraine : « On a assurément assisté à une révolte du Sud, qui a pris les Occidentaux par surprise ».

 

Sur le plan géopolitique, le Sud global est loin d’être un groupe homogène. Constitués de 140 pays, et d’une multitude d’organisations internationales (BRICS, Organisation de coopération de Shanghai), les priorités de chaque pays diffèrent entre le développement économique, social et la modernisation de leurs institutions politiques. On a alors deux pôles qui se distinguent au sein de ce nouveau continent : en premier, les anti-occidentaux qui cherchent à remplacer l’Occident, la Chine en tête. On a ensuite un groupe qui reste ouvert au monde, en perpétuelle quête d’opportunités : c’est le cas de l’Inde, qui fait un jeu d’équilibriste entre les deux camps.

 

Cela fait une vingtaine d’années que nous entendons parler du « Sud global » (Global South). Une notion qui semble réunir sous son chapeau tous les pays qui n’adhèrent pas (ou pas entièrement) au système occidental, et qui possèdent un certain ressentiment à l’encontre de l’Occident. C’est un ovni géopolitique apprécié dans les disciplines des sciences humaines et sociales, mais qui est remis en question par les diplomates. Catherine Colonna, ministre des affaires étrangères française, considère le Sud Global comme une « expression erronée ».

Cette appellation ne tient pas compte d’un point cardinal : les États se rangent dans cette notion selon leurs affinités lors des votes à l’ONU. Le Sud global agglomère des zones régionales, historiques et économiques disparates. La notion de Sud global est apparue lorsque les organisations internationales ont dû repenser la coopération internationale, et notamment le commerce entre l’Occident et le « Sud ». C’est un substitut du « Tiers-monde » théorisé par le démographe et économiste Alfred Sauvy en 1952. Il désignait alors ces pays dits « non-alignés », qui n’appartiennent ni au bloc de l’Ouest, ni à celui de l’Est.

 

Tout a réellement commencé lors de la conférence de Bandung en 1955. Les nouveaux États asiatiques et africains nés des indépendances, et refusant la logique des blocs, décident alors de porter fièrement le chapeau du mouvement des « non-alignés », créant ce qu’on appelle aujourd’hui le Global South. « Une étiquette que portent volontairement ces pays », expliquait Michel Duclos, conseiller spécial à l’Institut Montaigne dans un article au Monde.

Repenser les relations internationales

 

Dans « Sud global », il y a « global ». De ce fait, les pays en développement expriment leur volonté de rester dans un monde ouvert, non fragmenté, non-protectionniste, et pluraliste. Un terme qui laisse une certaine ouverture, se différenciant des blocs de la Guerre Froide. Bertrand Badie, professeur à Sciences Po Paris, auteur de Quand le Sud réinvente le monde (La Découverte, 2018), décrypte leurs positions : « À l’époque, le Sud craignait d’être écrasé par la bipolarité Est-Ouest. Ces pays se sentent aujourd’hui plus forts. S’ils ne pensent pas tous la même chose et ont parfois des intérêts opposés, ils ont en commun une diplomatie fluide, passant des accords ponctuels avec telle ou telle capitale en fonction d’objectifs très précis ».

Entre alors en scène un concept de « multi-alignement » propre au Premier ministre indien Narendra Modi. Celui-ci consiste à passer des accords commerciaux et garder des canaux de discussions ouverts entre les différents partis. Accords commerciaux pour le pétrole entre l’Arabie Saoudite et la Russie, alors que Washington instaure les premières sanctions. Ou la Turquie, membre de l’OTAN, qui garde le dialogue ouvert avec Moscou et n’applique pas les sanctions.

Que ce soit à travers des accords sur le climat, le sport ou la diplomatie, le Sud global monte indéniablement en puissance. Convoité, notamment pour ses ressources de matières premières, et bien conscient de ses avantages, c’est lors de votes ou de réunions telles que la réunion annuelle de l’ONU que ces pays, sous la bannière du Global South, marquent leur volonté de privilégier leurs intérêts propres plutôt que ceux de l’Occident. Le Sud global devient déterminant, en ce sens où il a créé un fonctionnement toujours plus multipolaire de l’ordre mondial, qui repense et critique en profondeur un modèle de gouvernance vieux de huit décennies.

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