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Crédits : Léa Le Denmat

Qui sont les Houthis, rebelles yéménites alliés de l’Iran aux portes de l’Arabie saoudite ?

Par Léa Le Denmat

Depuis des années, le Yémen est plongé dans une guerre civile aux racines anciennes et complexes. Dans ces conflits entremêlés, les Houthis sèment le chaos dans le nord du pays. Récemment, le mouvement politico-militaire a déclaré avoir attaqué Israël, faisant craindre la création d’un nouveau front. 

Le 31 octobre, avec le lancement de plusieurs missiles et drones vers le territoire hébreu, les Houthis réaffirment leur position vis-à-vis du conflit au Proche-Orient. Une stratégie assumée par le porte-parole du mouvement, Mohammed Abdul-Salam, quand il déclare que l’attaque vers Israël « répondait à un sens des responsabilités religieux, moral, humanitaire et national pour le peuple de Gaza face à la faiblesse du monde arabe et à la collusion de certains pays arabes avec Israël ». Le Troisième Œil a interrogé Franck Mermier, directeur de recherche au CNRS et ancien directeur du Centre français d’études yéménites à Sanaa. Selon l’expert, les missiles lancés vers l’État hébreu envoient, avant tout, un message idéologique alors même que les Houthis sont en quête d’influence au Proche-Orient. En tentant de déstabiliser la région, les rebelles se prêtent à une démonstration de force qui vise à mobiliser les Israéliens sur d’autres fronts, sans représenter une réelle menace, comme l’explique Franck Mermier. Les offensives ciblées des Houthis en sont la preuve. Samedi 18 novembre, les rebelles yéménites ont déclaré s’être emparé du Galaxy Leader en mer Rouge, un navire qu’ils disent être israélien. Les concernés démentent cette information, précisant que le bateau est utilisé par une compagnie japonaise. Une opération qui intervient après que les Houthis aient menacé de prendre pour cible des navires israéliens dans ces eaux stratégiques. 

Franck Mermier rappelle que les rebelles houthistes n’ont pas les moyens de leurs ambitions. Lancer une guerre contre Israël est une mission stratégique complexe et le rapport de force est à l’avantage d’Israël et des États-Unis. Le directeur de recherche au CNRS évoque la crainte des représailles dans un contexte où « la population yéménite est déjà dans une situation de grande détresse »

« Le Yémen n’a jamais été un seul pays » 

 

Dans ce contexte international inédit, les rebelles houthistes font parler d’eux. Mais l’organisation politico-militaire s’ancre dans un conflit historique au Yémen. Un pays que Quentin Muller, un des rares journalistes français à s’être rendu sur le terrain, connaît bien. Il explique au Troisième Œil, que le Yémen s’est toujours constitué de différentes tribus difficiles à concilier au sein d’un même État : « L’idée d’un État central s’est toujours faite dans la douleur, dans la violence et dans la guerre ». À l’origine de leur coup d’État en 2014, les Houthis revendiquent leur opposition à la politique de centralisation du gouvernement yéménite. Cette lutte vis-à-vis de l’État central découle notamment de la guerre de Saada en 2004, lorsque les rebelles houthistes condamnent la marginalisation des tribus du nord du Yémen, dont ils sont originaires. La guerre prend un autre tournant en 2014, alors que les Houthis s’emparent de la capitale Sanaa, le 21 septembre. Ces derniers, en guerre contre le président en place Abdrabbo Mansour Hadi, peuvent compter sur le soutien de leur ancien ennemi et ex-président yéménite, Ali Abdallah Salleh, destitué suite aux contestations de 2011. Une partie de l’armée lui étant toujours fidèle, il aide les Houthis dans leur volonté expansionniste et ensemble, ils parviennent jusqu’au sud du pays, à Aden. En 2017, les Houthis assassinent leur ancien allié et dirigent seuls. 

Les rebelles yéménites sont également soutenus par l’Iran, pays à tradition chiite. Une alliance vue d’un mauvais par un pays voisin, l’Arabie saoudite. En tête de la coalition arabe, le pays du Golfe à majorité sunnite, rejoint le conflit en mars 2015. En manque de puissance, les Houthis n’ont d’autre choix que de reculer face à cette alliance et à la résistance yéménite. Pourtant, après huit années de guerre et des bombardements saoudiens massifs, les forces rebelles paraissent toujours aussi solides et contrôlent leur propre État et la majeure partie de la population. Pour l’Arabie Saoudite qui s’est embourbée dans ce conflit, la priorité est de mettre en place un cessez-le-feu. Le pays de Mohammed ben Salmane sort affaibli par cette guerre dans laquelle les Houthis ont mené près de 1 000 attaques de missiles balistiques et 350 frappes de drones contre des infrastructures, des installations pétrolières, des aéroports et des sites militaires saoudiens selon Le Monde. La trêve des combats initiée en avril 2022 puis prolongée en 2023, doit aboutir à des accords entre les deux parties. Pour Quentin Muller, ces pourparlers ne sont que des mirages alors que les Houthis demandent “le beurre et l’argent du beurre”. Selon le journaliste, l’issue ne peut être qu’une paix fragile alors que le gouvernement yéménite n’est même pas intégré aux discussions. En parallèle, Franck Mermier remarque que le gouvernement houthiste tente de se légitimer. Pour preuve, la visite d’une délégation houthiste à Ryad en septembre 2023, gage d’un crédit diplomatique pour les rebelles. Dans ce contexte, les attaques contre Israël sont, pour le mouvement, un autre moyen de s’affirmer en tant qu’acteur influent au Proche-Orient.

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Crédits : AFP - Risk Intelligence, CFR, CRS

L’héritage de "l’Axe de la Résistance" 

 

Pour mieux comprendre le mouvement houthiste et ses aspirations, il est important de saisir ses origines. Les Houthis descendent de la famille Al-Houthi et sont originaires de la région de Sanaa, située dans le nord du Yémen. Ils se revendiquent du zaydisme, branche du chiisme, une doctrine fortement inspirée de l’Iran selon Franck Mermier. Diffusée dans le nord du Yémen depuis le IXe siècle, cette école de pensée zaydiste contrôle la région par le biais des imams jusqu’en 1962, au début de la guerre civile. 

En 1970, les républicains prennent le pouvoir aux royalistes. Les défenseurs du zaydisme perdent leur domination politique mais continuent d’influer sur la sphère religieuse. Face au salafisme, le mouvement se renforce dans les années 1980 sous l’égide Hussein Badreddine al-Houthi. À cette époque, les Houthis se reconstruisent politiquement. Inspiré par la révolution iranienne, le mouvement politico-religieux est porté par Hussein Badreddine al-Houthi, dont les intentions sont énoncées en un slogan : « mort à l’Amérique, mort à Israël, malédiction pour les Juifs, victoire pour l’Islam ». Dans cette quête, les Houthis sont soutenus par l’Iran qui leur achemine des armements par contrebande via la mer Rouge ou le sultanat d’Oman. Le mouvement contrôle aussi les anciens entrepôts de l’armée yéménite. Malgré le manque d’aviation, les rebelles ont la main sur les deux tiers de la population yéménite depuis leur prise de la capitale Sanaa en 2014 et imposent une mobilisation obligatoire. En 2004, Hussein Badreddine al-Houthi est tué par l’armée et son frère, Abdul-Malik al-Houthi, devient le chef du mouvement houthiste. Selon Franck Mermier, les Houthis et l’Iran se font fortement rapprochés à partir des années 90, au nom de "l'Axe de la Résistance", une alliance menée par l’Iran contre Israël et ses alliés occidentaux. Dans ce contexte, certains membres du mouvement de la jeunesse croyante (nom donné au groupe avant que les Houthis n’existent politiquement) se  rendent à Téhéran. Une relation qui vise à contrebalancer le poids du gouvernement yéménite soutenu par les États-Unis. 

Les Houthis profitent de la révolution yéménite de 2011 propulsée par les Printemps arabes pour se transformer en mouvement politique qui prendra le nom des “partisans de Dieu” en 2012. Une influence politico-religieuse qui continue de prospérer au nord du Yémen, dans un pays très régionalisé. 

 

La souveraineté yéménite mise à mal 

 

Mais dans l’ombre de ces ambitions politiques, les populations locales sont terrorisées par un régime qui dirige d’une main de fer. Quentin Muller évoque un mouvement gangréné par une théocratie obscurantiste qui “torture, assassine, ordonne des condamnations à mort sur la place publique”. Les rebelles mènent une politique particulièrement répressive envers les minorités, notamment les femmes : « être une femme au Yémen ça n’a jamais été facile, c’est un pays extrêmement conservateur et très patriarcal mais la situation s’est gravement empirée sous les Houthis». L’UN Refugees Agency rapporte que les filles sont de plus en plus sujettes au mariage d’enfants, à la traite d’être humains et au travail infantile. Autre point alarmant,  une femme meurt toutes les deux heures en couches ou des suites de sa grossesse. Malgré une privation claire de liberté, Quentin Muller souligne la résilience des femmes yéménites qui se substituent à l’absence de l’État en créant des associations. 

Bien que le pays soit peu couvert, il se confirme que le Yémen connaît actuellement l’une des pires crises humanitaires au monde. Le reporter spécialiste de la péninsule arabique explique : le désintérêt est lié à l’absence de passé colonial avec la France et au fait que le pays est assez hermétique au monde extérieur. Très peu de journalistes ont l’opportunité d’aller sur ce terrain, et sur place, les déplacements restent très réglementés. Pour les Yéménites, impossible d’être journaliste sans être affilié à un parti. Face à la situation, l’aide humanitaire ne cesse pas sa mobilisation au Yémen même si Quentin Muller déplore une baisse de 75% l’an dernier due à la guerre en Ukraine. Il dit aussi son incompréhension face à la répartition de cette aide dans le pays : beaucoup d’ONG sont présentes dans la région contrôlée par les Houthis mais peu dans le sud du pays. Un territoire que Quentin connaît bien et sur lequel il a mené de nombreux reportages. Dans cette partie du Yémen, ce sont les Émirats Arabes Unis, arrivés sur le terrain pour combattre les rebelles houthistes, qui semblent gouverner implicitement.

 

Quentin Muller craint pour la souveraineté du Yémen : « La guerre a fait rejaillir plein de divisions avec un État trop faible face aux Saoudiens et aux Émiratis. On est face à un État tellement morcelé que ce sont les Émirats qui ont aujourd’hui le lead ». Une perte de pouvoir qui laisse à craindre dans un pays déjà affaibli par une guerre qui a fait 377 000 victimes et dont 70% de la population demande une aide humanitaire.

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