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Crédits : Théophile Simon - Mediapart

Les conséquences humanitaires de l’extraction du cobalt en RDC : la loi du silence

Par Emilia Spada

La République démocratique du Congo (RDC) produit près de 70 % de la demande mondiale en cobalt, minerai utilisé pour la conception de batteries rechargeables. Le président Félix Tshisekedi, tout juste réélu pour un second mandat, a fait de la redéfinition de l’exploitation du cobalt une priorité économique. Symbole d’une transition énergétique vers l’électrique, l’extraction du « diamant de sang » pose question, à l’heure où les ONG alertent sur un lourd bilan humanitaire.

Peu présent en Europe, le cobalt est fortement concentré en RDC, notamment dans une région reculée du pays, le Katanga, où la ville de Kolwezi abrite la plus grande réserve du monde. « Capitale mondiale du cobalt », ses sous-sols recèleraient 25 millions de tonnes du précieux métal. Élément clé des batteries rechargeables lithium-ion, utilisées dans la conception des téléphones portables, ordinateurs, voitures et cigarettes électroniques, cet or bleu est crucial pour la transition énergétique mondiale. Face à l’explosion de la demande, c’est une véritable ruée vers l’or des temps modernes qui s’opère dans les mines congolaises.

 

Chaque jour, plus de 260 000 creuseurs s’affairent dans les mines à ciel ouvert du sud-est du territoire. Quasiment pieds nus, sans protection aucune, les mineurs descendent à plus de trente mètres de profondeur, pour espérer glaner du cobalt ou du cuivre. Parmi eux, un rapport de 2014 du Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF), dénombrait 40 000 enfants travaillant illégalement sur les sites d’extraction, soit quasiment un septième de la main-d'œuvre. Dans ces galeries souvent menacées par l’effondrement, les creuseurs gagnent environ deux dollars par jour, tandis que le kilo de cobalt rapporte à l’unité 1 500 francs congolais, soit 2,72 euros. La population locale est victime d’une baisse du revenu et de la hausse de la demande, contrainte de travailler toujours plus, pour moins d’argent. Entre les années 1990 et 2021, la demande mondiale de cobalt est passée de 34 000 tonnes à 190 000 tonnes. Devant l’expansion des quantités extraites dans les mines, le métal a perdu de sa valeur, passant de 82 000 dollars pour une tonne de minerai en 2022 à 35 000 dollars en 2023.

 

Des rapports d’exploitation historiques

 

La Chine est la dernière d’une longue liste de nations ayant lorgné les mines congolaises, industrialisées par la Belgique, puissance coloniale de la fin du XIXe siècle. Au tournant du siècle, l’empire du Milieu a fait main basse sur les exploitations minières de la RDC, pour alimenter son insatiable croissance économique. Aujourd’hui, 70 % des exploitations du pays sont supervisées par la Chine, et ses co-entreprises COMMUS et CMOC, acquéreurs de 90 % de la production de cobalt congolaise. Cet interventionnisme chinois, scellé par deux accords historiques en 1999 et 2008, ne va pas sans conséquences ; la RDC échoue à distribuer ses richesses et subit un aménagement violent à la faveur des exploitations minières.

 

Dans un rapport de septembre 2023 intitulé « Alimenter le changement ou le statut quo », l’organisation non gouvernementale (ONG) Amnesty International démontre comment l’expansion des mines industrielles a entraîné l’expulsion forcée des populations, et la destruction systématique des villages et des champs. Maisons brûlées, habitants blessés… les entreprises exploitantes travaillent en étroite collaboration avec Gécamines, entreprise minière d’État de la RDC. En 2015, des centaines d’habitants ont été contraints de fuir le quartier cité Gécamines, face à la reprise des activités minières. 200 familles risquent encore aujourd’hui l’expulsion.

La garde républicaine fait également l’objet d’accusation de viols et agressions sexuelles lors de ces opérations d’expulsions forcées et de destruction à travers la région Kolwezi. Le rapport dénonce aussi les indemnités obtenues puis jamais versées par les sociétés d’extraction nationales, telles que Chemaf. L’ONG rappelle le passé colonial de la République démocratique du Congo et alerte sur la reproduction de ces dynamiques par les puissances financières, ancrant le traumatisme du déplacement et de la destruction chez les populations.

 

Les chercheurs de l’ONG Business and Human Rights Resource Centre ont eux aussi relevé 102 violations des droits de l’homme et des lois de l’environnement dans 39 mines chinoises situées dans 18 pays entre janvier 2021 et décembre 2022. Douze de ces incidents se sont produits en RDC. Les soins de santé dans les mines chinoises sont médiocres ou inexistants, tout comme les équipements de protection. Les lois locales concernant les heures de travail et la protection de l’environnement sont ignorées.

 

Si la population civile subit au quotidien l’urgence de l’extraction du cobalt, c’est aussi aux abords des mines que s’articule la violence. Selon Donat Kambola, un avocat spécialiste des droits humains basé à Kolwezi, la situation est sans appel : « Il n’y a pas une seule mine congolaise qui soit conforme au Code minier. Les sites ne sont pas suffisamment sécurisés, ce qui permet aux enfants de pénétrer clandestinement, et les négociants ne sont pas contrôlés, ce qui assure une totale impunité ». Ces 40 000 enfants travailleurs sont contraints de verser des pots-de-vin aux autorités locales, afin de leur fermer les yeux sur l’interdiction officielle du travail des enfants dans les mines. Sujets aux risques sanitaires dus à leur exposition répétée aux particules de poussières dégagées par l’activité, les petits mineurs accusent aussi une menace sécuritaire. La police régionale est payée par les industriels pour épauler les gardes privés dans leurs missions de surveillance contre les incursions illégales. Ces incursions représentent 25 % de l’extraction des sites, puisque l’industrie n’offre seulement que quelques milliers de postes - trop peu pour satisfaire les dix millions d’habitants de la région du Katanga, dont les deux tiers vivent sous le seuil de pauvreté. Une police qui n’hésite pas à tirer à balles réelles sur les locaux exclus de la manne minière, qui tentent chaque jour de s’introduire par effraction sur les terrils, pour y glaner le peu de minerai restant. Les témoignages d’enfants abattus se multiplient, resserrant l’étau d’un contexte sécuritaire déplorable.

 

Tshisekedi, le président qui failli

 

Sur la participation de l’État à la violation des droits humains, le chercheur Thierry Vircoulon, en poste à l’Institut français des relations internationales (IFRI), invoque une « kleptomanie minière » qui doit cesser. Le président fraîchement réélu pour un second mandat, Felix Tshisekedi, fait l’objet d’accusations de corruption depuis son investiture en 2018. Le scrutin présidentiel a d’ailleurs été contesté avec vigueur par ses opposants, alors que la Commission électorale nationale indépendante (CENI) de RDC annonçait condamner les actions de vandalisme et de violences qui s’étaient déroulées pendant la campagne.

 

Vivement critiqué pour la politique « mines contre infrastructures » négociée avec la Chine en 2008 ; Tshisekedi a opéré au cours de l’année 2023 un changement de paradigme. Il a souhaité la révision d’un accord de 6 milliards de dollars sur les co-entreprises, afin que la RDC s’émancipe pour constituer et commercialiser ses propres stocks de cobalt. L’objectif du président Tshisekedi est de renégocier les termes d’un contrat qui accorde 70% des parts du cobalt à la Chine contre 32 % à son pays. Le dépôt de ces demandes s’est opéré en mai et en novembre, mais aucun agréement n’a encore été déclaré.

Interpellé à de nombreuses reprises par ses opposants politiques et les citoyens congolais au sujet du travail infantile, le président contre-attaque dès 2020 avec l’instauration de la gratuité de l’enseignement primaire. Une mesure qui peine à porter ses fruits, tant sa mise en place s’accompagne de dysfonctionnements et de lenteurs. L’enjeu économique est devenu trop important pour que les parents acceptent de sacrifier les revenus de leur enfant au profit de son éducation. Car bien que la Banque mondiale estime à 6,8% le taux de croissance de la RDC, la dépréciation du franc congolais, le paiement des arriérés de salaires des fonctionnaires et l’augmentation des dépenses de guerre ont fait grimper les prix. Le fonds mondial international (FMI) estime que l’inflation a atteint 22% sur un an, aggravant la précarité des habitants.

 

Si les ONG tirent par la manche le président Tshisekedi, alertant sur les conditions désastreuses du travail dans les mines, l’omerta règne à la tête du pouvoir ; on parle chiffres et expansion.

 

Une médiatisation quasi nulle

 

Sur la scène internationale pourtant, on s’anime peu ou prou, dénoncer oui, mais surtout pour récupérer une hégémonie politique ou économique. En juin 2023, le républicain Chris Smith introduisait à la Chambre des Représentants états-unienne une mesure visant à interdire l’importation de cobalt et de lithium congolais issus du travail des enfants. Par une phrase assassine, « Le Parti communiste chinois exploite les ressources en cobalt de la RDC pour alimenter son économie, en faisant travailler des enfants », Washington amorce une sanction dans la continuité de la lutte menée contre Pékin à Kinshasa. Une déclaration qui prouve aussi une prise de conscience de la réalité du travail infantile aux États-Unis. En 2019, l’International Rights Advocates, association de défense des droits de l'Homme, portait plainte contre les géants de la tech, Apple, Microsoft, Google, Dell et Tesla, les accusant d'avoir bénéficié en toute connaissance de cause du travail d'enfants dans des mines de cobalt en RDC. Le jugement n’a pas encore été rendu.

 

Ces affaires connaissent pourtant une médiatisation extrêmement faible. La majorité des articles dédiés à la RDC se concentre sur les affrontements historiques entre l’armée congolaise et le mouvement des rebelles du M23. Éclipsée par un contexte sécuritaire qui amène l’Organisation des Nations unies (ONU) à déclarer « une des plus grosses crises humanitaires au monde », les conséquences de l’extraction du cobalt sur la population sont encore secondaires dans les médias classiques.

 

Ces dernières semaines, au détour de carrousels Tiktok ou Instagram, ont afflué des appels à soutenir la République démocratique du Congo, par des dons ou des reposts. Ces posts mettent en lumière une situation critique, mais leur format court, dépourvu de contenu explicatif, ne permet pas une information fiable ou construite, moteur de réflexion et d’action.

L’avènement de cet activisme numérique à double tranchant témoigne d’une véritable responsabilité médiatique, et cette information des réseaux sociaux d’un impératif défi de la loi de proximité (ou cyniquement, loi du mort-kilomètre). Cette règle éditoriale des médias traditionnels hiérarchise les informations selon leur proximité par rapport au lecteur, négligeant certaines parties du globe, comme ici la RDC.

 

Lors de la 28e conférence des parties sur le climat des Nations unies (COP28) de décembre 2023, les États-Unis consacraient la RDC pour la valorisation de ses atouts écologiques en lui allouant la garantie d’un fond de 62 millions de dollars. Cette dotation démontre un alignement de la scène internationale sur l’argument d’une nouvelle énergie, avancé par Félix Tshisekedi quant à l’exploitation systématique du cobalt. Une transition vers l’électrique appuyée, au détriment des conditions humanitaires dans les extractions minières congolaises. Le second mandat du président verra peut-être la conclusion de nouveaux accords avec la Chine et une redéfinition de l’ordre national du cobalt. On ne peut qu’espérer le relai persistant des ONG, jusqu’à la reconnaissance des enjeux humanitaires dans la transition écologique mondiale.

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