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Crédits : Bertille Varrièle

Reportage : Brésil, vers un droit à l’avortement ? 

Par Bertille Verrièle

Jeudi 28 septembre, à l’occasion de la journée internationale pour le droit à l’avortement sûr légal et accessible, des dizaines de militants manifestent au cœur de Rio de Janeiro. Ils marchent en violet et en vert, entre espoir et colère, à l’heure où le Brésil fait un pas vers la dépénalisation de l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG).

Sur les foulards verts, on peut lire : « nem presa, nem morta » (ni emprisonnée, ni morte). La prison et la mort, ce sont les risques encourus en cas de recours à l’IVG au Brésil. L’avortement y est considéré comme un « crime contre la vie humaine », passible de trois ans de prison, au titre du Code pénal de 1940 et de la Constitution fédérale de 1988. Trois exceptions demeurent : l’avortement est légal en cas de viol, d’anencéphalie (une malformation qui entraîne la non-viabilité du foetus) et s’il n’y a pas d’autres façons de sauver la vie de la mère. Mais la désinformation et les difficultés d’accès aux soins dans les centres médicaux contreviennent souvent à l’accès à l’avortement, dans le peu de cas où il est autorisé. Ainsi, parmi les slogans scandés par les militants ce jeudi 28 septembre à Rio de Janeiro, résonne « se é legal, tem que ser real » (si c’est légal, il faut que ce soit réel). 

 

Le reste du temps, l’avortement est considéré comme un crime. Un « crime » que commettent près d’un million de Brésilien.ne.s chaque année. Beaucoup sont obligé.e.s d’interrompre leurs grossesses dans la clandestinité. De nombreuses cliniques pratiquent l’IVG en secret, mais cela coûte près de cinq fois le salaire minimum. Les plus pauvres avortent donc dans des conditions précaires, souvent seules à domicile. Une discrimination supplémentaire, quand on sait que les personnes racisées et indigènes sont sur-représentées parmi les classes populaires. Les femmes noires ont ainsi deux fois plus de chances de mourir d’un avortement clandestin que les femmes blanches. 

 

Ces avortements à domicile, faute de moyens, touchent davantage les jeunes. Parmi les Brésilien.ne.s qui déclarent avoir déjà avorté, plus de la moitié était âgée de 19 ans ou moins. Ces drames sont le fruit d’un paradoxe. Les Brésilien.e.s connaissent leurs premières expériences sexuelles très jeunes (en moyenne un à deux ans plus tôt que les Français), mais souffrent d’une absence totale d’éducation sexuelle, d’un mauvais accès aux méthodes de contraception, et d’un tabou généralisé, qui rend l’omerta difficile à briser. 

 

La criminalisation de l’avortement pose un problème de santé publique au Brésil. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, une brésilienne meurt tous les deux jours des suites d’un avortement clandestin. Pour les militants, cette absence de droit à l’IVG revêt tous les habits de l’hypocrisie. Une prise de position ferme, qui peine à rallier les masses, en témoigne le peu de militants présents à Rio de Janeiro ce 28 septembre. Alors que les manifestants se rassemblent sur la place et commencent à hisser leurs drapeaux et à scander leurs slogans, un passant les traite de « tueuses d’enfants » et les insulte de « sorcières », entre autres propos outrageants. Aux femmes présentes de répliquer en coeur « nem presa, nem morta ». À l’image de cet affrontement, l’avortement cristallise les tensions dans tout le pays.

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Parmi les manifestants présents à Rio de Janeiro ce 28 septembre pour le droit à l’avortement, des femmes de toutes les générations, d’associations et d’organismes politiques de différents horizons.

52% des Brésiliens contre le droit à l’avortement

Le sujet est particulièrement sensible au Brésil. La religion catholique, majoritairement pro-vie, y joue en effet une place de premier plan. « O aborto seria legal se o papa fosse uma mulher » (l’avortement serait légal si le pape était une femme), chantent justement les manifestants. L’essor des églises évangéliques, particulièrement intransigeantes concernant l’IVG, pèse également sur l’opinion publique. Ainsi, selon un sondage récent de l’institut Datafolha, 52 % des Brésiliens sont opposés à l’IVG, tandis que 45 % y sont favorables. Pourtant, une Brésilienne de moins de quarante ans sur sept a déjà avorté. 

 

« Le risque est grand quand elles entreprennent cette procédure car, lorsque la tentative d’avortement échoue, une hospitalisation sur vingt-huit se termine par un décès », souligne l’hebdomadaire brésilien Istoé. Mais alors que les récits d’avortements dramatiques affluent en cette manifestation du 28 septembre, l’ambiance n’est pas plombante. Dépassée la pitié, l’heure est à la colère et à la ferveur populaire. Comme souvent au Brésil, la manifestation prend des allures de fête, où l’art a la part belle. Chants, percussions, danses, performance d’art contemporain et défilés en échasses viennent animer la soirée. Ce 28 septembre, les réjouissances ont une saveur particulière. Le Brésil pourrait être sur le point de faire un pas vers le droit à l’avortement. C’est en tout cas ce que les militants cariocas espèrent.

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Sur le corps de cette militante, en pleine performance artistique, on lit “pour la vie des femmes”.

Vers la dépénalisation ? 

La vague verte s’apprête-t-elle à déferler sur le Brésil ? La lutte pour le droit à l’avortement, symbolisée par les foulards verts typiques des militants argentins, semble en effet gagner du terrain en Amérique latine. Elles sont des dizaines de Brésiliennes à le brandir fièrement à Rio de Janeiro ce 28 septembre. « Le vert, c’était une couleur qui n’était utilisée par personne, et il avait comme point positif de représenter la vie » confiait Victoria Tesoriero, membre de la Campagne pour le droit à l’avortement en sécurité, légal et gratuit en Argentine, au média La Croix. Après avoir été initié à Cuba et en Uruguay, la « marée verte » a récemment gagné la Colombie, l’Argentine et le Mexique. Et le Brésil pourrait être le prochain sur la liste. « America Latina vai ser toda feminista » martèlent les manifestants cariocas. 

 

Un espoir dans les yeux des militants, que l’actualité illumine. Le 22 septembre, la Cour suprême du Brésil a en effet commencé à examiner un recours demandant la dépénalisation de l’avortement jusqu’à la douzième semaine de grossesse. Le procès a été ouvert à l’initiative du Parti de gauche Socialisme et Liberté (PSOL), qui a demandé en 2017 la reconnaissance du droit constitutionnel à l’interruption volontaire de grossesse. 

 

Le 30 septembre, deux jours après la journée internationale pour le droit à l’avortement, la ministre et présidente de la Cour, Rosa Weber, a voté en faveur d’une dépénalisation. Cette prise de position, courageuse dans un pays aussi divisé sur la question, intervient comme son ultime décision. Rosa Weber a en effet pris sa retraite à la fin du mois. Selon la magistrate, « la criminalisation de l’interruption volontaire de grossesse […] porte atteinte à la liberté et à la dignité des femmes ». Les dix autres juges de la plus haute juridiction brésilienne voteront lors d’une prochaine séance plénière, dont la date est pour l’heure inconnue. Si une majorité d’entre eux se prononce en faveur de la dépénalisation, les personnes ayant recours à l’avortement, tout comme les professionnels de santé qui le pratiquent, ne feront plus l’objet de poursuites judiciaires. 

 

« Pendant des décennies, la répression pénale de l’avortement a violé nos droits sexuels et reproductifs et soumis à une discrimination disproportionnée les femmes noires, autochtones et en situation de pauvreté. Il est grand temps que le Tribunal fédéral suprême mette fin à cette injustice », a déclaré Ana Piquer, directrice pour les Amériques à Amnesty International. Mais si une telle avancée se concrétise dans les prochaines semaines, cela ne signifiera pas pour autant qu’il sera possible d’avorter au sein du système de santé public, ni que l’IVG sera accessible gratuitement. Le chemin est encore long vers la légalisation. 

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