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Crédits : Mauro Pimentel - AFP

Non, le bolsonarisme n’est pas un phénomène passager

Par Johanna Beeckman 

Jusqu’au bout, on aura retenu notre souffle. Dimanche 30 octobre, vers 20h (heure brésilienne), les résultats tombent enfin. Le candidat de gauche Luiz Inácio Lula da Silva (PT) remporte l’élection face au président sortant d’extrême-droite Jair Bolsanaro. Une victoire de justesse qui montre l’ancrage profond du bolsonarisme dans un Brésil polarisé.

Les élections présidentielles brésiliennes ont été pour le moins mouvementées et inattendues. Alors que l’institut Datafolha, connu pour ses sondages fiables, donnait le chef de file du PT vainqueur dès le premier tour, le 2 octobre a été la douche froide. Obtenant 48,43%, l’ex-président de gauche n’avait pas obtenu la majorité nécessaire pour battre son adversaire. Pire, le résultat du scrutin s’est révélé bien plus serré que prévu puisqu’à peine 5 points, soit 6 millions de voix seulement (sur un total 123 millions de suffrages) séparaient les deux hommes. L’annonce d’un second tour inévitable ne présageait rien de bon pour la démocratie. Le bolsonarisme avait déjà gagné.

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2018, terrain propice  

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Pour comprendre comment le bolsonarisme s’est hissé dans le champ politique, il faut remonter à 2018. Cette année-là, un certain Bolsonaro, alors député à l’Assemblée, se présente aux élections présidentielles. Alors que rien ne laissait présager que ce piètre orateur pourrait arroger les foules, c’est sur les thématiques de corruption, sécurité et religion qu’il a séduit un nouvel électorat. Dans ses discours, Bolsonaro s’est présenté comme un homme "clean" à l’inverse du parti adverse, le PT qui avait été majoritairement éclaboussé par un énorme scandale de corruption entre 2014 et 2017. L’opération "Lava-Jato" (lavage express), révèle des malversations et un système de blanchiment d’argent atteignant 10 milliards de reals, soit près de 3 milliards d’euros. 

 

Surfant sur la vague de défiance envers les classes politiques traditionnelles et les institutions, l’ancien militaire avait promis de rétablir "l’ordre" aussi bien économique que sécuritaire. S’il est vrai que Dilma Rousseff, l’ancienne présidente destituée en 2016 et remplacée par Michel Temer (son vice-président), s’est inscrite dans la continuité de Lula, son bilan économique n’a pas été aussi reluisant. Fortement affecté par les scandales de corruption, le Brésil s’est enlisé dans la récession réduisant considérablement le pouvoir d’achat de la classe moyenne. Sur le plan sécuritaire, rien de mieux puisque le taux de criminalité a augmenté faisant entrer le pays parmi les 10 pays les plus violents du monde. Bolsonaro en tant que militaire de formation apparaît donc comme une solution. 

 

En 2018, la dynamique politique était d’autant plus favorable au "mythe" puisque son adversaire, Lula, condamné à 12 ans et 1 mois de prison, fut contraint de se retirer en pleine campagne. Son remplaçant, Fernando Haddad, bien moins charismatique, n'a pas fait le poids. 

Bref, un terrain propice à l’émergence d’un discours populiste dont Bolsonaro se fera le porte-voix sous son mandat présidentiel (2018-2022).

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Une nouvelle façon de faire de la politique 

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Franc-parler assumé, Bolsonaro a été présenté comme un homme providentiel. Populiste dans sa posture anti-establishment et sa relation ambiguë à l’encontre des institutions jugées "corrompues", le président sortant a bouleversé le champ politique, laissant derrière lui un nouveau courant : le bolsonarisme. Cette conception de la société est, selon Frédéric Louault, Professeur de science politique à l’Université libre de Bruxelles, "une vision très traditionnelle de la famille, où le poids de la religion en particulier du christianisme et des religions évangéliques doivent guider la société. Il s’agit presque d’une orientation théocratique. Son thème de campagne en 2018, et encore en 2022, c’était le Brésil au-dessus de tout, et Dieu au-dessus de tous. Il y a eu vraiment une radicalisation du religieux et un rapprochement encore plus puissant entre religion et politique sous Bolsonaro"

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Jair Bolsonaro bénéficie d’appui solide des évangéliques. Ces derniers représentent 30% des Brésiliens

Suivant l’adage des "3B" pour "Bible, balle, boeuf", le politicien d’extrême-droite bénéficie aussi d’un appui solide de l’armée et de la police militaire. Nostalgique de la dictature de 1964-1985 et fervent admirateur du général Ustra, il n’a cessé de multiplier les initiatives  explicites ou implicites pour impliquer les militaires et l’institution dans la vie et le fonctionnement de son gouvernement. Afin de garantir "l’ordre et le progrès", il n’a par ailleurs jamais caché sa volonté de généraliser le port d'armes. En adoptant une posture économique libérale, il a également pu s’accorder la sympathie de l’agronégoce.  

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Autre nouveauté sous l’ère bolsonnariste : la communication. Suivi par des milliers d’adeptes sur les réseaux sociaux, Bolsonaro a réussi à capter un électorat moins politisé. Dérogeant à la règle du politiquement correct, il séduit en parlant le langage du peuple. Très actif sur youtube, il tient sa propre chaîne sur laquelle il interagit directement avec son public. Trop méfiant à l’égard des médias jugés "corrompus", il ne fait que de rares apparitions et évite tout débat. 

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Démocratie et institutions fragilisées

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Toujours dans un discours méfiant voire de délégitimation à l’égard de la Cour suprême, Bolsonaro a aussi redéfini les règles du jeu politique. En hissant dans son exécutif des évangéliques au statut de ministres, de l'Éducation par exemple, il immisce une idéologie religieuse dans un pays laïc. Le choix de personnalités ouvertement racistes, homophobes, misogynes et sexistes pose également problème. Alors que l’ancien militaire se vantait de représenter le "peuple brésilien", il en a en réalité une définition bien étroite. Ses rares allocutions ne sont pas bâties sur un propos raisonnable et raisonné mais fondé sur la haine. Sur Whatsapp et d’autres messageries cryptées, il divulgue fréquemment des fake news. 

Les achats fréquents de députés pour avoir des majorités montrent eux aussi que Bolsonaro ne s’attarde pas à maintenir un semblant de démocratie. Ses constantes remises en cause du système électoral alimentent une négation institutionnelle. 

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Source : The Economist

Reflet d’un Brésil polarisé

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Après la victoire de Lula au second tour, c’est le reflet d’un Brésil polarisé qui s’est donné à voir et qui a révélé la base électorale solide du bolsonarisme. Malgré une gestion désastreuse de la pandémie (700 000 morts officielles du covid-19, 1 million selon d’autres décomptes), une augmentation de la déforestation de 75% et des déclarations toujours plus haineuses, rien n’aura en effet été suffisant pour dissuader les supporters du "mythe". Si lors des élections, on s’attendait sans surprise à un appui solide des Églises évangéliques (30% des fidèles Brésiliens), Jair Bolsonaro a également bénéficié d’une partie de l’électorat indécis du Nordeste, région historiquement ptiste (en faveur du PT, le Parti des Travailleurs).

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Ce pivot d’électeurs pourrait s’expliquer par des pratiques clientélistes du camp bolsonariste à la veille du premier et second tour. Après avoir supprimé la bolsa familia, un programme d’aide sociale lancé en 2004 par Lula, Bolsonoro l’a remplacée pour instaurer son propre plan social Auxilio Brasil dont la mise en pratique est restée floue. Par ailleurs, loin d’avoir la mémoire courte, une partie des Brésiliens tient encore pour responsable le PT de la corruption endémique. 

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A présent, le Brésil est littéralement scindé en deux aussi bien sur le plan géographique que idéologique. D’un côté une gauche progressiste, de l’autre, un électorat conservateur qui place la religion et la famille traditionnelle au centre de leurs préoccupations. 

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Futur, à quoi s’attendre ?

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Il aura fallu 36h avant que le "mythe" ne s’exprime après la victoire de son concurrent. Sans pour autant reconnaître sa défaite, il a dit qu’il respecterait la Constitution. Cependant, c’est justement cette non-reconnaissance qui pose problème et qui met en danger les institutions démocratiques. Ce que l’on craint ? Un événement similaire à l’assaut du Capitole aux Etats-Unis, lors de l’investiture de Lula le 1er janvier prochain. Quelques jours après la victoire de l’ancien syndicaliste, le climat était encore extrêmement tendu : routes bloquées durant plusieurs heures et altercations signalées. Le scénario de guerre civile semble désormais moins plausible mais les tensions entre citoyens rendent l’atmosphère pesante. 

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Autre hypothèse compatible avec la première : la survie du bolsonarisme jusqu’aux prochaines élections en 2026. L’ancrage du courant ultraconservateur au sein du Congrès pourrait rendre la marge de manœuvre de Lula bien plus compliquée que lors de ses deux mandats précédents. Un blocage des parlementaires empêcherait toute réelle réforme et au bout du compte une désillusion de la classe politique traditionnelle. 

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L’arrivée de Bolsonaro n’était pas un accident dans l’histoire du Brésil. Ni insignifiante, ni passagère, cette mouvance a révélé des dynamiques de polarisation extrême et enfuie que promeuvent  les bolsonaristes. 

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Pour aller plus loin…

  • Le cauchemar brésilien de Bruno Meyerfeld (correspondant au Brésil pour le Monde)

  • Documentaire (2019) : Democracia em vertigem, réalisé par Petra Costa

  • Interview de Scott Mainwaring, professeur de science politique à University of Notre Dame (Etats-Unis). Ses recherches et enseignements se concentrent sur la démocratisation, l’autoritarisme, les partis et systèmes politiques et la politique en Amérique latine spécifiquement : https://youtu.be/uLT_4B4i5AU

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